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    C’était le visage qu’il n’avait pas une seule fois oublié au cours de ces quatre dernières années. Il hantait ses rêves et s’était gravé dans sa mémoire, refusant de disparaître ou même de s’estomper. Ces yeux doux, une double-paupière d’un côté, et même ces sourcils bien dessinés : tout cela appartenait à son professeur particulier.

    « … »

    Wooyeon n’arrivait pas à croire à une telle coïncidence. Même s’il avait entretenu un mince espoir, il savait que la réalité ne s’accordait jamais avec de tels rêves. La faible possibilité qu’il avait entretenue des années auparavant s’était vite éteinte.

    Et pourtant, il était là. Son tuteur. Ce n’était pas seulement l’apparence, mais aussi le nom : Kim Dohyun. Ces trois syllabes suffirent à faire battre son cœur, à tout rompre. Wooyeon sentit ses cheveux se dresser, son corps libérant une subtile effusion de phéromones qu’il ne pouvait réprimer. Cela n’aurait pas dû arriver. Cela ne lui était plus arrivé depuis sa première manifestation.

    « Euh… »


    Il ouvrit la bouche avec hésitation, une myriade de mots et d’émotions bloqués dans sa gorge. Il voulait tant dire qu’il lui manquait, qu’il avait travaillé dur, qu’il avait perdu du poids et qu’il était même devenu plus grand. Il voulait partager ces petites victoires, se vanter de ces choses qui, il l’espérait, feraient sourire Dohyun et lui arracher un geste affectueux, comme autrefois.

    « C’est… »

    Mais rien ne sortit. Rien, à part un silence pesant. Dohyun, toujours droit et imposant, semblait à peine changé, à part des traits légèrement plus affirmés. Et pourtant, il paraissait… Différent. Wooyeon, le cœur battant à un rythme chaotique, murmura finalement d’une voix tremblante qui semblait à peine audible :

    « … Étes-vous un Alpha ? »

    Il avait senti ces phéromones. Une présence forte, indéniablement, d’un Alpha. Ce parfum sec et frais qu’aucune cigarette ou eau de Cologne ne pouvait imiter. Son souffle se suspendit alors qu’il attendit sa réponse.

    « Oui. »

    La réponse arriva, décontractée, presque indifférente. Dohyun le regarda d’un air neutre, les yeux clignant lentement, comme si Wooyeon n’était qu’un étranger parmi tant d’autres. Il n’y avait aucune reconnaissance dans ses pupilles ternes.

    Un Alpha.

    Ces deux mots résonnèrent comme un coup de massue. Wooyeon se retourna brusquement, mordant sa lèvre pour contenir l’émotion qui menaçait de le submerger. Un pas. Puis un autre. Ses pieds avancèrent mécaniquement, mais chaque mouvement faisait tourbillonner en lui un chaos indescriptible.

    … Son professeur particulier était un Alpha ?

    C’était la question. Celle qui venait de tout changer. Une simple affirmation qui faisait renaître des sentiments refoulés depuis quatre ans. Si, à cet instant précis, Dohyun avait répondu autrement… Peut-être que Wooyeon aurait pu continuer à vivre sans jamais rouvrir ce chapitre.

    Pourquoi avait-il l’air d’un Alpha ?

    Un Alpha ?


    Il ne savait pas vraiment dans quel état d’esprit il avait passé les dernières semaines. Quand il reprit enfin ses esprits, le semestre avait déjà commencé, et son inscription aux cours était un véritable désastre. Il se retrouvait inscrit à des matières inconnues, côtoyant des étudiants de dernière année, tandis que sa matière principale, incompréhensible, lui donnait envie de tout abandonner. Ce n’était pas une plaisanterie : Wooyeon avait fait dix allers-retours au bureau du département en seulement quatre jours.

    « Il te reste encore un peu de temps pour modifier tes cours… »

    L’assistant administratif, aimable et patient, lui adressa un regard compatissant tout en consultant son emploi du temps chaotique. Bien qu’il croulait sous les demandes des étudiants, il aidait discrètement Wooyeon, lui signalant les cours encore disponibles en fonction des places restantes.

    « Courage ! »

    « Oui… »

    Avec une posture affaissée et les épaules voûtées, Wooyeon ressemblait à un chiot abattu. L’assistant, dans un geste amical, lui tapota doucement l’épaule. Si une queue avait pu trahir ses émotions, elle traînerait sûrement sur le sol.

    Grâce aux ajustements de son emploi du temps, Wooyeon avait désormais une longue pause avant son prochain cours. Mais sans amis et sans destination précise, il errait, hanté par ses préoccupations. Après un moment, il releva la tête et fixa l’assistant, un mélange de nervosité et de résolution dans les yeux.

    « Euh… Connaissez-vous un dénommé Kim Dohyun ? »

    L’assistant haussa un sourcil, visiblement surpris.

    « Kim Dohyun ? C’est au sujet du club ? »

    « Le club ? »

    « Oui, Dohyun est le président du club de lecture des classiques anglais. Tu veux rejoindre le club ? »

    Wooyeon hocha lentement la tête, jouant la comédie. Il se souvenait que Dohyun avait mentionné ce club lorsqu’il lui donnait des cours particuliers. À l’époque, il semblait être le plus jeune membre. Aujourd’hui, il en était le président.

    « Quel genre de personne est-il ? » demanda Wooyeon d’un ton hésitant, triturant nerveusement la lanière de son sac.

    L’assistant marqua une pause, jaugeant l’étrange insistance dans la voix de Wooyeon avant de répondre.

    « C’est un type bien. Responsable, sérieux… Il travaille dur pour son club et pour ses études. C’est aussi le meilleur élève de notre département. Pendant les examens, il est d’une aide précieuse. »

    Wooyeon ne fut pas surpris par cette description. C’était exactement le Dohyun qu’il connaissait : méthodique, sérieux, quelqu’un qu’on pouvait admirer sans effort. Mais il ignorait la partie sur son statut de meilleur élève.

    « … C’est un Alpha ? »

    La question sortit presque malgré lui, bien qu’il en soupçonnât déjà la réponse.

    « Oui. »

    Depuis l’orientation, les phéromones Alpha de Dohyun, mêlés à ses souvenirs, ne cessaient de l’obséder.

    Un Alpha.

    Même s’il n’en avait jamais parlé, même s’il tentait de l’ignorer, cette vérité restait inébranlable.

    Wooyeon avait toujours détesté les Alphas. Avant sa manifestation et après, ce sentiment avait persisté. Ce n’était pas qu’une simple aversion, mais une rancune viscérale née des humiliations qu’il avait subies à cause d’eux.

    « Y a-t-il autre chose que tu veux savoir ? »

    « Non, merci, c’est tout. »

    Wooyeon s’inclina légèrement, puis remit son sac sur ses épaules. Le vent froid d’un après-midi ensoleillé n’avait rien pour réchauffer le bout de son nez glacé, malgré son manteau.

    « Oh, attends une seconde ! »

    L’assistant leva la main pour arrêter Wooyeon alors qu’un étudiant approchait au loin.

    « C’est toi qui m’as appelé ? »

    Une grande fille, presque aussi grande que Wooyeon, s’avança. Ses longs cheveux noirs flottaient doucement derrière elle. Avec ses traits acérés et son aura imposante, elle dégageait une assurance naturelle, presque intimidante. Un léger parfum de phéromones Alpha l’entourait.

    « Il veut rejoindre ton club, » lança l’assistant avec un sourire.

    « Non, ce n’est pas vrai… » tenta de protester Wooyeon.

    Mais il hésita lorsqu’elle croisa son regard. Ses yeux, perçants et calculateurs, brillaient d’un éclat amusé, presque carnassier.

    « Nouveau ? » demanda-t-elle d’une voix assurée.

    Wooyeon recula instinctivement, mais elle leva les mains dans un geste apaisant.

    « Ah, je me souviens maintenant ! Tu étais à l’orientation, non ? »

    « L’orientation ? »

    « Oui ! Je t’avais invité à une after-party, mais tu avais dit que tu étais occupé. »

    Wooyeon revit l’instant fugace où cette Alpha lui avait adressé la parole. À l’époque, mal à l’aise, il avait rapidement prétexté une excuse pour partir.

    « … Je suis désolé. »

    À sa surprise, elle éclata de rire.

    « Si tu es vraiment désolé, rejoins notre club ! Alors, tu aimes Shakespeare ? »

    La spontanéité de sa question fit rire l’assistant. Wooyeon, quant à lui, resta figé, incapable de répondre.

    « Nous avons une fête de bienvenue ce soir. Ça te tente ? »


    « Wow, donc tu viens des États-Unis ? »

    « Où exactement en Amérique ? LA ? New York ? Combien d’années y as-tu vécu ? »

    « Mon ami disait que la discrimination raciale y était terrible. C’est vrai ? »

    Au milieu de ce flot incessant de questions, Wooyeon fronça légèrement les sourcils, mal à l’aise. Il se sentait accablé par une attention qu’il n’avait jamais demandée. Ce qui avait commencé avec une ou deux personnes s’était rapidement transformé en toute la table braquant les yeux sur lui.

    « … J’ai passé quatre ans à Los Angeles, » finit-il par répondre brièvement.

    Quand Wooyeon était arrivé à la soirée alcoolisée organisée par Garam, il s’était naturellement isolé, s’asseyant dans un coin comme un mégot de cigarette abandonné. Les seniors se regroupaient entre eux, tout comme les étudiants de première année. Les cercles étaient déjà formés, et la personnalité introvertie de Wooyeon l’empêchait de s’intégrer. Quant à Dohyun, il semblait si loin, presque irréel. Wooyeon se força à détourner les yeux pour ne pas chercher son visage. C’est alors qu’un Bêta s’approcha de lui.

    « Tu étais à l’orientation, toi, non ? »

    L’étudiant s’appelait Kwon Seongyu. Après avoir vidé une bière cul-sec, il s’installa en face de Wooyeon avec un sourire décontracté, entamant une conversation chaleureuse.

    « Je pensais que tu étais dans une autre école. On ne te croise jamais en cours. »

    Cette remarque poussa Wooyeon à sortir son emploi du temps sur son téléphone. Seongyu, stupéfait, éclata de rire en découvrant le chaos désordonné de ses horaires. Son emploi du temps ressemblait à ces mèmes absurdes qu’on partage sur Internet. Très vite, la discussion attira l’attention de tout le monde, et Wooyeon devint l’objet d’une étrange sympathie collective.

    « Mais étudier à Los Angeles, c’est pas donné. Tes parents doivent être riches, non ? »

    « Hé, fais attention à ce que tu dis, » répliqua Seongyu, visiblement contrarié. Il tenta de calmer les esprits, rappelant que ce genre de remarques pouvait ruiner l’ambiance.

    C’était vrai que les frais de scolarité à Los Angeles étaient exorbitants, et Wooyeon venait effectivement d’une famille aisée. Pourtant, il se sentait détaché de cette réalité. Ce n’était pas la même insensibilité blessante qu’il avait connue au collège, où ses camarades le tourmentaient sur des sujets similaires.

    « Oh, Wooyeon, tu t’es fait plein d’amis, on dirait ? »

    Soudain, Garam fit irruption dans la conversation, chancelante. Son odeur d’alcool et de phéromones Alpha enveloppa Wooyeon, mêlée à tout ce qu’il détestait le plus. Elle s’appuya négligemment contre le mur, ignorant sa tentative de l’éviter, et parla avec enthousiasme.

    « Les beaux mecs, c’est toujours différent. »

    Les phéromones de Garam se dispersaient autour d’elle. Ce n’était pas intentionnel, mais elle avait clairement oublié de les contrôler à cause de l’alcool. Wooyeon prit une légère inspiration, feignant de se couvrir la bouche avec sa manche.

    « Noona est déjà… »

    « Garam, arrête de te comporter comme une vieille dame, » intervint une voix douce et familière derrière lui.

    Wooyeon sentit son cœur s’arrêter net. Cette voix… douce, chaleureuse, et bien trop familière. Puis, une grande main se posa sur son épaule.

    « Il a l’air mal à l’aise. »


    ・.ʚ Voilà la fin du chapitre ɞ .・

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